le blog des Universités populaires


6ième printemps des Universités Populaires (UP)

Un rendez-vous annuel pour les UP créées dans le sillage de celle de Caen (M. Onfray, 2002).



24-26 juin 2011 – Aix-en -Provence
Compte rendu par Michel Tozzi (UP de Narbonne)


C’est l’Université Populaire d’Aix-en-Provence, après les UP de Lyon, Narbonne et Perpignan, Saint Brieuc, l’UCP du 93 et enfin Bruxelles, qui a pris cette année le relai, avec nombre de ses auditeurs présents. Ce sera celle de Ris Orangis l’an prochain. Une vingtaine d’UP étaient représentées : Lyon, Narbonne, Perpignan, Avignon, Nîmes, Ris Orangis, Paris 8, Niamey, Bruxelles, Ile Maurice, Isle d'Abeau, Bordeaux, Arles, Roubaix, Caen, Marseille, Ile du Ponant, Scop le Pavé, ainsi que les futures UP de St Quentin en Yvelines, d'Apt et d'Oran. D’autres UP sont en création (comme Argelès).

L’UP d’Aix a été fondée en 2007, à l’initiative de Liliane Zuniga. Elle concrétise un projet d’éducation populaire, indépendant, gratuit et ouvert à tous, sans prérequis et non diplômant. Elle s’appuie sur un large réseau associatif, actif pendant la réunion à la Cité du livre : la radio Zinzine, la web télé Anonymal, le centre social des amandiers…Elle travaille en partenariat avec le laboratoire d’ergologie de Y Schwartz, qui étudie les « savoirs investis » dans le travail.

Il y eut d’abord une présentation de chaque UP, moment fort pour apprécier la diversité des histoires collectives et des propositions thématiques et pédagogiques de chacune : par exemple l’UP de Perpignan, qui va élaborer un jeu anticapitaliste ; celle d’Avignon, refusant toute subvention ; celle de Roubaix, très « citoyenne » (« comprendre le monde pour agir sur lui ») ; celle de l’ile de Groix, se confrontant à un public très hétérogène ; celle de Bruxelles,  issue de 30 ans d’expérience associative avec un public multiculturel, en partie diplômante ; celle de l’ile Maurice, où la philosophie, sans aucune dimension institutionnelle sur l’ile est fortement représentée ; celle de Narbonne, avec ses ateliers de philo pour adultes et enfants ; celle de Lyon, qui vient d’organiser avec d’autres UP une réflexion collective sur ses huit ans d’histoire (voir en annexe) ; Paris 8, où, dans la tradition de Vincennes de 68, l’on entre sans diplôme et peut ressortir avec un diplôme d’éducation populaire, et où une UP en ligne va être lancée ; celle de Bordeaux, fondée par des étudiants à la suite d’une lutte contre la loi sur les universités ; celle de Ris Orangis, qui a mis en place un laboratoire socialà l’écoute des besoins etc.

 
Des tables rondes thématiques
 
Quatre tables rondes se réunirent tout le samedi, deux sur des sujets récurrents pour les Printemps des UP : le public, les pédagogies. Deux qui exploraient des thèmes nouveaux : quid de la militance dans les UP, et pourquoi pas un contre concours sur une alternative à la société actuelle ?
 

Sur la question des publics des UPAix nous a présenté l’enquête menée sur son public : 60% de femmes etc. Une frustration s’ensuit face à la faible diversification des publics. Il y a souvent peu de jeunes dans les UP (sauf à Bordeaux). Le terme « université » risque de faire fuir, mais séduit par sa dimension d’universalité. La taille des cours peut intimider pour la prise de parole, un langage trop théorique peut dissuader. La question des partenariats dans certains quartiers sensibles est posée, elle exige beaucoup de patience et d’énergie, un recours au vécu, une articulation difficile entre le concret et l’abstrait...

D’où la question de l’élargissement : est-ce un problème de communication ? De questions matérielles : choix des lieux, type de salle, jour, horaires ? De contenu proposé, de type de savoir dispensé ? De type d’intervenants ? De méthodes pédagogiques utilisées ? Peut-on d’ailleurs mélanger différents publics, ou avoir des activités diversifiées plus ciblées en fonction des publics ?
 
Les UP, une ou des pédagogies ?Question récurrente dans les printemps des UP. Car si l’on vise la diffusion de savoirs académiques, même mâtinés d’esprit critique, pour l’enrichissement personnel des auditeurs, la pédagogie unilatérale enseignants/enseignés suffit, avec un brin de débat après des conférences. Mais si on poursuit des objectifs d’émancipation individuelle et collective, en y impliquant les participants ou des publics nouveaux, d’autres pédagogies s’imposent, mobilisant d’autres types de savoirs…

L’atelier a entendu de ce point de vue nombre d’expériences passionnantes, depuis la conférence suivie de débat ou d’un atelier, à l’atelier préparatoire à une conférence, à des ateliers mensuels pendant plusieurs années, avec ou sans diplômation etc.
Questions posées : pourrait-il y avoir des UP dans des pays non démocratiques ? Et fondamentalement : les UP participent-elles d’une « illusion démocratique » (goute d’huile dans un système bétonné), ou sont-elles un lieu de préservation de la démocratie, voire de résistance (le grain de sable) ?
 
Etre militant ou non, et pourquoi ? C’était l’intitulé de la table ronde, sous-titrée : « L’Université populaire a pour vocation de former des citoyens. Cette démarche est-elle militante ? ». Il fut introduit par Sandrine Nicourd, sociologue : « Les engagements seront considérés comme des pratiques collectives signifiantes qui mettent en jeu des dimensions biographiques et organisationnelles. Quatre registres de sens se trouvent investis dans ces pratiques : un sens pour soi, un sens pour les autres, avec les autres et également un sens contextualisé dans une époque précise ».

L’intérêt de cet atelier est d’avoir permis au maximum de personnes de dire en « je » leur positionnement dans leur UP. Il est apparu une grande méfiance dans les représentations du mot et de la chose : on critique l’origine du mot militant (le soldat… de la cause) ; un certain type de pensée : doctrinale (doctrinaire ?), manichéenne (il y a les bons et les mauvais), pleine de certitude, souvent dogmatique, et par conséquence intolérante ; un certain type de pratique : vouloir con-vaincre, faire intrusion chez l’autre ; un type d’organisation contraignante, centralisée et hiérarchique (ex : dans l’Eglise ou les partis communistes)…

Mais à cette « militance partisane » on oppose une « militance tolérante », qui garde  espoir dans la possibilité de changements individuels et collectifs, maintient le pouvoir d’interrogation, cultive le débat, ne boude pas le plaisir… Les UP, par leur organisation souple et leur exigence intellectuelle, peuvent être un de ces lieux où l’on s’approprie individuellement et collectivement du savoir, travaille son propre rapport au savoir et à l’autorité et instaure du débat, que l’on soit intervenant en travaillant la problématisation de questions complexes ou l’interdisciplinarité, ou participant avec une posture active…
 
Un contre-concours sur une société alternative ? La question étant posée de l’influence que peuvent avoir les UP sur la société, une proposition originale a été formulée : amener dans le débat public la question d’alternative (s) à la société actuelle, par plusieurs productions sur cette question des UP, qui seraient examinées par un jury des UP. Le processus d’élaboration est aussi important que le résultat, car générateur de débats. C’est la reprise moderne de la réponse à un type de question posée par l’académie de Dijon (en l’occurrence ici sur les sciences et les arts), à laquelle répondit J.-J. Rousseau et qui le rendit célèbre…

L’idée du concours, compétitif, sélectif, consacrant le mérite d’un individu fut critiquée, mais l’idée d’une élaboration collective entraînant débat d’un projet dans chaque UP et entre projets des UP fut retenue comme très fédérateur. Au 7ième  Printemps des UP, en juin 2012, les projets seront présentés, et au 8ième en 2013, un événement sera organisé pour le (les)  présenter nationalement.

Des questions ont surgi : l’idée d’utopie est-elle définitivement discréditée comme « totalitaire » (voir le courant de la Nouvelle droite après 68),  ou a-t-elle encore un avenir ? Qu’entendre par « alternative » à la société actuelle ? Faut-il mettre alternative au singulier (la Voie collective à suivre, ou la transformation individuelle) ou au pluriel (plusieurs alternatives collectives sont pensables, avec différentes logiques)? Comment « sectoriser » l’alternative : alternative à la santé, l’éducation, le nucléaire, la psychiatrie actuelle etc. ? Faut-il la penser  au niveau local (toutes les expériences concrètes alternatives déjà existantes : ex. Longo mai etc.), ou au niveau sociétal, voire global ? Alternative contre quoi et qui ? Pourquoi, pour quoi et pour qui ? etc.
 
Ouvertures
 
Une soirée festive le samedi soir croisait de manière originale des chants polyphoniques de nombreuses cultures avec un groupe de slam, poésie urbaine très engagée.

Christian Maurel rappelait en conclusion les objectifs de l’éducation populaire, dans laquelle s’inscrivent les UP : émancipation individuelle et collective en vue d’une compréhension du monde pour le transformer, qui soulèvent la question récurrente dans le mouvement ouvrier du rapport entre les intellectuels et le peuple. Il appelait les UP à se construire un imaginaire commun sans gommer les différences, qu’il faut « fertiliser », à poliniser leurs trouvailles, et interroger critiquement l’éducation populaire très institutionnalisée, « socioculturalisée ».
 
Annexe 
Synthèse des débats menés à l’UP de Lyon avec d’autres UP le samedi 16 avril 2011
Par Michel Tozzi (UP Septimanie, Narbonne)
 
Voilà ma façon de lire les débats.
Les UP sont des « institutions »,  non pas au sens de l’école, mais au sens de groupes qui se donnent des règles et qui cherchent à se rendre  visibles.
Il y a à la création une phase d’instituant(on crée quelque chose de neuf), phase très intéressante, car les UP naissent en dehors de l’Université classique, et peuvent être un lieu d’expérimentation sociale et pédagogique.

Mais avec le temps, l’instituant devient un institué et se posent des problèmes d’institution : logistique (locaux, gratuité), information, place des intervenants, type de participants, choix de budget, type de formation, enquêtes pour mieux se connaître… On éprouve par exemple le besoin de distinguer ceux qui sont du côté de l’organisation et ceux qui sont  du côté de l’intervention pour constituer une équipe.

Se pose également la question des réseaux : comment se mettre en réseau avec les autres UP et au niveau local avec d’autres associations ?

Vieille question donc de l’analyse institutionnelle :« qu’est-ce qu’un instituant qui devient un institué, et que fait-il pour ne pas se scléroser ou mourir? Comment se renouveler ? ».

Emergent alors plusieurs questions sur :
- Le statut du savoir  et son lien avec l’émancipation de l’individu et des groupes
- Le statut de l’intervenant
- Le statut du public, de l’auditeur, du participant
 
1- Statut du savoir
S’agit-il des sciences humaines ? Des sciences dures ? Sur quels critères fait-on les choix  et doit-on exclure certains savoirs (jugés par exemple non émancipateurs) ? On veut qu’il s’agisse de savoirs critiques pour qu’ils soient émancipateurs.  Ce qui implique que le savoir n’est pas critique par lui-même, puisqu’on y ajoute le mot « critique ». Ce savoir « critique », « émancipateur » est en  lien avec le mouvement social historique des UP, lié au mouvement ouvrier et à ses organisations, parfois aujourd’hui avec  des mouvements alternatifs (alter mondialistes). Ce « savoir militant » est récusé par certains qui considèrent le savoir  comme une « bouteille à la mer » dont les gens font ce qu’ils veulent, par simple désir et plaisir de savoir.

On voudrait aussi avoir de l’influence sociale : mais a-t-on le « bon » public ? Est-on légitime  comme « militant » ? Notre public est-il assez populaire ? Qu’entendre par « populaire » ?

Cela est déterminant pour le statut de l’intervenant et celui du participant.

Le langage est important, très connoté : intervenant, expert, formateur, animateur, enseignant… Les logiques ne sont pas les mêmes : nommer c’est donner un style, une orientation culturelle, politique, pédagogique ; le mot « intervenant » est intéressant parce qu’il est neutre.
 
2- Statut de l’intervenant
D’autres mots sont sollicités : « auditeur » est révélateur car il signifie : celui qui « écoute » (passivement ?). Le terme « participant » est plus actif, plus engageant, plus impliqué…

On ne dit pas ici « formateur », ni « enseignant » : tous ces mots impliquent des postures politiques et sociologiques, pédagogiques aussi.

Quelle est donc  la posture de l’intervenant ? Celle qu’on lui donne et celle qui est reçue, selon qu’il vient  de l’université, du lycée ou du primaire, d’ailleurs que l’école (association, syndicat etc. ?).
Or dans l’expression « université populaire », le mot « université » est extrêmement inducteur : comme son nom l’indique,  l’enseignant « universitaire » semble être l’intervenant le plus légitime (le chercheur est le meilleur garant du savoir puisque c’est lui qui l’élabore).

Sauf qu’il n’y a pas que des « savoirs universitaires » ; il y a aussi  des savoirs expérimentaux,  pratiques ; ceux-ci ont-ils une légitimité ? Si oui,  comment les transmettre ? Est-ce qu’un savoir d’expérience s’enseigne, se partage ?


Dans tous les cas, l’expérience du public remet en question la posture, la pratique quotidienne, les habitus du discours universitaire (celui de la maîtrise, de la possession de la vérité)  car le participant, plus que l’auditeur, ne s’en laisse pas compter, ce qui oblige l’intervenant à revisiter épistémologiquement sa propre posture :  l’intervenant se doit d’avoir une conception problématisante, et non dogmatique de son apport, parce qu’un savoir n’a de sens que s’il est une réponse à une question, ou prend sens par des questions que l’on se pose.
 
3 Statut du participant :
C’est une posture subjective : comment se situe  celui qui reçoit ou/et participe ou encore co-construit le savoir ? Il faut élucider le rapport au savoir du participant sinon il reste dans un certain dogmatisme de la réception comme vérité absolue : quel est son mode d’appropriation du savoir ?

Quel est le rapport entre les intervenants et le « public » (terme apparemment neutre) : certains fondateurs des UP ont des objectifs quantitatifs (faire venir plus de gens) ou/et qualitatifs (on voudrait pouvoir toucher un public venant de milieux culturellement défavorisés).

La position militante voudrait un public plus populaire, mais qu’on ne sait comment « attirer » pour le faire réfléchir : ce qui  met en jeu la question des réseaux, des partenariats, des dispositifs pédagogiques, et soulève la question du  lieu de l’UP qui n’est jamais neutre, toujours chargé symboliquement.
L’arrivée de l’UP de Belgique  a soulevé des questions qu’on ne s’était pas posées :

problème de l’importance de la « diplomation » pour les sans diplôme (que l’UP de Caen refuse) ;  place des intellectuels par rapport aux classes populaires dans les UP ; rôle des nouvelles technologies  dans les UP, en utilisant des médias citoyens (comme la plateforme collaborative mise en place par Walter Bonomo) 

Pour finir : l’intérêt des UP
 
On est dans des lieux où on peut s’autoriser, car on ne dépend pas d’autres institutions,à inventer des pratiques sociales, des pratiques pédagogiques nouvelles en sortant des chemins traditionnels (savoirs académiques, cours magistraux, formations classiques).

Expérimentons l’espace des possibles, les modèles ne s’excluent pas : les ateliers ne s’opposent aux cours magistraux ; mais qu’est-ce qu’on peut inventer d’autre ? Notre imagination institutionnelle, pédagogique et didactique est très en dessous de tout ce qu’on peut faire ! Les UP permettent ces expérimentations, qu’on a tout intérêt à mutualiser afin d’enrichir et  de diversifier les pratiques.

Mercredi 29 Juin 2011


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